Du coup, vous êtes la maman de Jérôme ? C’est bien que vous soyez venue, asseyez-vous. C’est vrai qu’il ne fait pas très chaud dans cette salle, on s’excuse.
Bon, en fait, l’idée c’était, voilà, de faire un petit point sur la scolarité de Jérôme, travail, résultats, etc. Comportement, j’oubliais… Du coup, il n’a pas voulu venir ? Dommage, j’aime bien l’idée que la scolarité se coconstruit entre élèves, parents et profs. Mais bon, on fera avec, (ou plutôt sans, ha ! Ha ! Ha !) :
Bon, du coup, vous avez vu ses résultats trimestriels. C’est vrai qu’il a fait des progrès dans certaines matières, en math un peu, en histoire, en anglais. C’est vrai qu’il a aussi ses points forts : des résultats incroyables en éducation physique où il performe carrément, etc. Par contre, il y a des matières où ça pèche clairement, inutile que je vous les énumère, je suppose.
Du coup, au final, l’ensemble est trop juste. J’ai vu qu’il avait fait une demande pour le concours d’architecture, j’ai peur que la barre soit un peu haute pour lui, en vrai. Clairement, ça risque de ne pas le faire. Quant à l’école vétérinaire, c’est juste impossible. Même pour l’école de commerce, ça va être compliqué, je le sens. Compliqué. Il faut savoir que le français compte énormément dans ces concours, genre, c’est un moyen de sélection, du coup. Vous comprenez, dans les matières scientifiques, tous les candidats sont à peu près au même niveau, etc., du coup qu’est-ce qui fait la différence ? Le français !
Et là, désolé, je ne voudrais pas plomber l’atmosphère, mais c’est trop juste, beaucoup trop juste. Trop de facilités de langage en fait, trop de clichés, trop d’impropriétés ;je passe sur la pauvreté du vocabulaire, quant à l’orthographe et à la grammaire, n’en parlons même pas. J’ai apporté sa dernière dissertation sur Roméo et Juliette. : « roméo kiffe juliette versus pareil à l’envers juliette kiffe roméo... » Déjà, aucune ponctuation, pas de majuscules, mais passons… Avant-hier, correction, je lui dis : « kiffe » ça va pas bien, qu’est-ce qu’on pourrait mettre à la place ? Du coup, il cherche un autre registre, mais carrément à des années-lumière du sien : « adorer », tomber en amour », « défaillir de langueur ». ça sentait Google à plein nez. Bon, à la base je suis plutôt patient, du coup, je le mets sur la voie, je lui dis de partir de ses représentations, genre qu’est-ce qu’il dit, lui, quand il éprouve une vraie attirance pour quelqu’un, ou même, quand il est enthousiasmé par quelqu’un ou quelque chose ? Une minute passe, Et là il me répond, avec un éclair dans les yeux : « ça y est, je sais, je le supporte ! roméo supporte juliette juliette supporte roméo ». Eh bien voilà, que je lui dis, tu vois, quand tu veux !
Déjà il faut aussi qu’il apprenne son cours. J’ai pu constater la semaine dernière qu’il ne connaissait toujours pas ses figures de style. Mais pas que…, : déjà les règles de base de la grammaire : c’est juste pas possible en terminale d’avoir encore des soucis avec l’accord des verbes. C’est bête à dire mais ça s’apprend ; c’est vrai que ça demande du travail, en même temps, il faut reconnaître, on n’a rien trouvé de mieux jusqu’à nos jours, et voilà. L’huile de coude, et comme dit mon collègue scientifique, la devise du chimiste : « souffre et potasse » ! Ha ! Ha ! Ha ! Penser qu’on peut réussir sans bosser, c’est s’illusionner, c’est carrément se fourvoyer, c’est... c’est juste faux, en vrai !
Du coup, déjà, il faudrait qu’il commence par se mettre au travail… Est-ce qu’il travaille, vraiment ? Il me fait plutôt l'impression d'être en mode cool cool, là, tout de suite. C’est vrai qu’il habite loin du lycée et que les deux heures de transport par jour, c’est pas fait pour arranger les choses. Là, en vrai, il y a un sujet. En même temps, on n’arrête pas de lui proposer l’internat et il ne veut pas en entendre parler. Il faut savoir qu’on a des chambres disponibles et que l’étude n’est pas si bruyante que ça. En même temps, je le comprends un peu, à son âge, je ne voulais pas en entendre parler non plus.
Donc voilà. Au final, il faut qu’il se mette vraiment au travail….
Niveau comportement, rien de grave, si l’on passe sur certains accoutrements quelque peu improbables. En même temps les relations avec la classe, ça va, c’est peu dire qu’il gère : il est juste comme un poisson dans l’eau. Tout le monde le calcule et il calcule tout le monde. Un poil trop bien, même : parfois, ce serait pas du luxe qu’il arrête d’embêter ses collègues…. Non, rien de méchant, mais voilà, quelquefois c’est limite. Tant qu’il est tout seul à parler n’importe quand sans lever la main, ça passe. Mais si tous les élèves se comportaient comme lui, ce serait juste impossible de s’entendre dans la classe. Attention, quand on étudie un dossier de candidature aux grandes écoles, on regarde les résultats, mais pas que… Travail et comportement, ça compte aussi, et pas qu’un peu. Donc il va falloir que Jérôme redouble d’efforts, clairement, qu’il se concentre sur son travail, qu’il apprenne ses leçons, qu’il cesse de se dissiper et… et voilà.
Voilà, si vous souhaitez qu’on se revoie dans quelque temps, je suis à votre disposition. Je suis potentiellement disponible tous les soirs (pas le mardi par contre). De toute façon, au pire on se rappelle.
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Thierry Michalon (dimanche, 12 février 2023 23:05)
Ce pastiche de la langue contemporaine est confondant de vérité, et affreusement attristant... Et, malheureusement, tu n'exagères pas !
André (vendredi, 17 février 2023 22:34)
Merci, Thierry, pour ce commentaire, qui me prouve que nous partageons le même regard sur la langue de nos contemporains. J'ai choisi de mettre en scène un(e) professeur(e) pour montrer que ce n'est pas une affaire de niveau d'instruction.
Signoles Pierre (jeudi, 23 février 2023 11:35)
Cela fait presque vrai ! Toutefois, pas assez de Voilà !, ce mot qui désormais rythme tous les discours !
Et pas de "problématique", alors que manifestement l'élève en question souffre de multiples problématiques !
Amicalement
André (vendredi, 24 février 2023 05:36)
Entièrement d'accord, Pierre. Il y aurait matière à étoffer davantage, tant la (re)ssource est intarissable.